C’est le dîner. Tout se passe plutôt bien ce soir en dehors de Lili qui sort de table comme si elle avait un ressort sous les fesses et qui pousse régulièrement des cris aigus. Le quotidien quoi. Non mieux que le quotidien me dis-je, Solal est calme, il mange tranquillement en parlant de sa journée. Ouf ! Aucune colère depuis qu’il est rentré de l’école.
Lili pousse un hurlement en montrant son doigt tout rouge. Ouï ! Elle s’est mordue en croquant dans sa tarte aux poireaux. Elle pleure à chaudes larmes en me tendant les bras. Mon bébé de 3 ans et demi a mal. Je la prends sur mes genoux pour la consoler.
Solal commence à râler : il n’aime pas ce qu’il y a dans son assiette, il ne veut pas terminer. Je l’autorise à prendre un dessert. Il veut de la glace. OK, on est vendredi. Lili en veut aussi. Je sers les enfants. Solal pique un bout de glace dans le bol de sa sœur ce qui a le don de la refaire hurler (et de faire exploser mes tympans). Je demande à Solal de lui rendre son bout mais il refuse. Je le prends moi-même dans son bol et le met dans celui de sa sœur. Je me retourne pour couper une pomme. Du coin de l’œil, je vois Solal faire un grand geste pour pousser sa sœur, qui tombe à la renverse. Je hurle, Lili hurle, Solal se lève en renversant sa chaise et s’en va dans sa chambre en claquant la porte. Il pleure bruyamment (un peu trop). Lili aussi. Je la console. Je laisse Solal se calmer dans sa chambre. Je sais que ça ne sert à rien d’intervenir quand il est dans cet état. Et puis, je suis fatiguée de ses réactions excessives.
Lily termine son dessert. Solal revient dans la cuisine, tout penaud. Il s’excuse à sa façon en me disant qu’il est bête, qu’il est nul. Je lui explique (pour la 584ème fois) que ça n’est pas comme cela qu’on demande des excuses, que je n’aime qu’il se dévalorise comme cela, que je ne pense pas qu’il soit bête. Il demande s’il peut avoir son dessert. Je dis OK et je vais mettre Lili en pyjama.
De retour dans la cuisine, Solal a fini son dessert. Il me regarde avec ses grands yeux tristes et me montre la table en bois. Avec un joli caillou pointu qu’il a ramassé à l’école, il a gravé une étoile dans la table. Je lui demande pourquoi il a fait ça, il me dit « pour me faire gronder ». Je respire un bon coup en me commandant de ne pas m’énerver, je lui demande de me donner le caillou, j’ouvre la fenêtre et je le jette très loin dans le jardin.
Encore ces réactions excessives
Solal hurle « Noooooooon, mon caillou !!!! », il se jette sur une chaise, la renverse, met un coup de pied dans la porte du placard (et la casse), se jette par terre et se contorsionne en répétant « tu es méchante, tu es une méchante Maman, je te déteste ! ». Je m’assois par terre. Je suis épuisée par les crises de mon fils. Il a 7 ans et ça fait bien 6 ans que ça dure, quasi-quotidiennement. Je ne sais plus, je ne comprends pas. Je ferme les yeux et essaie de mon concentrer son ma respiration. Inspirer profondément, expirer profondément. Ça calme. Solal nage toujours la brasse par terre à côté de moi.
Mon chéri arrive. Ouf ! Un peu d’aide. Avant même d’arriver, il a compris la situation car il a entendu Solal hurler depuis le portail du jardin. Il sait ce qui se passe parce que ça arrive tout le temps. Je lui demande de coucher Lili.
Je garde les yeux fermé et je fais un effort pour me remémorer l’image de Solal à 6 mois quand il avait un sourire magnifique, solaire, contagieux. Un sentiment d’amour et de tendresse m’envahit. Je regarde Solal toujours en pleine crise, je respire encore un bon coup, et je m’approche de lui. Je pose ma main sur lui. Il arrête de gesticuler. Je lui explique pourquoi j’ai jeté son caillou, je lui propose un câlin. Il se lève et en poussant à nouveau une chaise, il court dans sa chambre en claquant la porte. Il pleure bruyamment, à chaudes larmes cette fois, comme si le monde s’écroulait autour de lui. Je le rejoins et m’assois à côté de lui. Solal a des hoquets, il est rouge, ses yeux sont gonflés. Il pleure, il pleure, sans pouvoir s’arrêter.
Mais qu’est-ce qu’il cet enfant à la fin ?
« Mais qu’est-ce qu’il a cet enfant ?! » je me demande pour la millième fois depuis qu’il a 18 mois. Je ne comprends pas ses réactions. Malgré tous les efforts que je déploie pour le contenter, il ne semble jamais satisfait. Toujours quelque chose qui cloche, quelque chose qui le dérange, qui le perturbe… Il n’a jamais l’air heureux. Ça me trouble, ça me questionne. Je me sens une mère nulle, incapable de comprendre son propre enfant.
Depuis ses 18 mois, Solal fait des crises, nous tient tête, hurle. Il râle tout le temps, n’est jamais content, réclame toujours plus. A cette époque, son père et moi avons interprété ses réactions comme une simple phase d’opposition, « il nous teste » nous répétions-nous. N’ayant que l’exemple de notre propre éducation, nous avons appliqué les préceptes traditionnels : nous l’avons puni, mis au coin, enfermé dans sa chambre. Mais cela se répétait tous les jours. Les dîners étaient cauchemardesques et se terminaient tous en crise de nerfs. Invariablement, nous trainions Solal dans sa chambre, fermions la porte en lui demandant de se calmer. Il tapait violemment sur la porte, que nous tenions avec force. Il hurlait. Il finissait par s’écrouler en pleurs, hoquetant. Nous le prenions alors dans les bras et il s’endormait sur sa colère et son chagrin. C’était notre quotidien.
Nous étions tous sur le point de péter un plomb. Ce quotidien était trop difficile. Et si Solal avait un problème ? Hyperactif, trouble de l’attention, autiste ? Nous l’avons emmené voir une psychologue, qui nous a rassurés : Solal n’est pas hyperactif, et n’a pas de trouble de l’attention. D’ailleurs, il se concentre très bien et très longtemps quand il dessine, qu’il fait des constructions en légos, en Kapla. Non Solal est hyper-sensible. Voilà, nous avons mis un mot sur ce que mon fils était, est toujours, et restera toute sa vie.
Solal est un enfant hypersensible… mais c’est quoi au juste ?
Solal a parlé très bien très jeune, faisant des phrases structurées à 18 mois déjà. Très tôt, il a commencé à poser beaucoup de questions sur tout, souvent sur des sujets graves comme la mort. Nous avons très rapidement été désemparés par la violence de ses « crises » émotionnelles qui nous semblaient disproportionnées, inappropriées. Ses difficultés à s’endormir, ses râleries incessantes, ses réactions intenses face au changement (au secours les vacances cauchemardesques !), sa très grande excitabilité, son agitation quasi-permanente (et ses gestes brusques !), son perfectionnisme poussé à l’extrême (et des réactions intenses face à l’erreur ou l’échec), nous mettaient constamment au défi. Au défi de rester patients, bienveillants, aimants… Nous craquions souvent, l’un après l’autre.
La psychologue a permis de l’apaiser pendant un temps mais ne nous a pas réellement donné d’outils pour vivre avec Solal au quotidien, pour l’aider et pour nous aider. Nous ne pouvions pas payer une psychologue « ad vitam ». Nous devions trouver les méthodes nous-mêmes.
Enfin des méthodes qui marchent !
Voyant que les méthodes de l’éducation traditionnelle ne donnaient rien avec lui, je me suis inscrite à une formation « Écouter pour que les enfants parlent et parler pour que les enfants écoutent » animée par ma très chère Sophie Brengard (géniale !) et basée sur la méthode inventée par Adèle Faber et Elaine Mazlish dans les années 80.
Bien que datant un peu, cette méthode reste hyper efficace et géniale, car elle est très concrète et propose des outils pouvant être immédiatement mis en œuvre. De plus, les échanges avec l’animatrice et les parents m’ont permis de mieux comprendre certains comportements de Solal et de trouver des outils pour mieux lui répondre.
L’outil qui m’a le plus aidée avec Solal est l’écoute empathique et l’accueil des sentiments douloureux. C’est incroyable comme cela change de juste se mettre dans une situation d’accueil des sentiments, sans essayer de gronder ou de moraliser. Juste écouter et montrer qu’on comprend ses sentiments (même si l’on n’est pas forcément d’accord). Se sentant connecté au parent, Solal a alors pu avoir plus confiance en nous et prendre l’habitude de parler de ce qui ne va pas, plutôt que de péter les plombs.
Entre temps, j’ai beaucoup lu d’ouvrages sur l’éducation bienveillante, les émotions de l’enfant, le fonctionnement de leur cerveau et j’ai compris ceci :
- En tant qu’enfant hypersensible, Solal perçoit certaines situations, certains bruits comme une agression. Par exemple, certains tons de voix, regards ou expressions corporelles le font réagir de manière disproportionnée.
- Sa difficulté à vivre sereinement avec les autres le fait souffrir
- Il manque cruellement de confiance en lui, tant sur le plan affectif qu’intellectuel, car il déteste l’échec et a peur de décevoir.
- Solal est un enfant aux besoins affectifs énormes. Il demande beaucoup, beaucoup d’attention.
Partant de ce constat, voici ce que j’ai mis en place :
- Dès que les enfants rentrent de l’école, nous avons notre « quart d’heure » de remplissage de réservoir. C’est quoi ça ? Nous avons tous un réservoir d’amour qui se vide au fur et à mesure de la journée (avec toutes les contraintes que nous rencontrons au travail, en voiture…) et nous avons besoin de le remplir avec des gestes affectueux, des paroles, des moments de détente… Les enfants en ont encore plus besoin que nous et Solal encore plus que beaucoup 😉 Du coup, j’ai instauré ce petit quart d’heure qui permet de gérer en douceur la transition entre l’école et la maison. Selon le jour (et ce que je sens des enfants) cela peut être une activité calme (lecture, câlins…) ou plus physique (pour décharger le stress) : jeu de bagarre, danse sur une musique endiablée, cache-cache dans la maison… Ils adorent et cela permet de décharger le stress de la journée dans une bonne ambiance. Souvent, cela suffit à assurer une soirée plutôt calme (on relativise einh, ça reste des enfants ;-))
- Le soir, on fait chacun son tour pour coucher les loulous : un coup c’est maman qui couche l’un et un coup c’est Papa. Comme ça les enfants (qui ont tendance à être collés à Maman) ont un moment vraiment privilégié avec chaque parent à tour de rôle et peuvent avoir une histoire ou une activité adaptée à leur âge.
- Avec Solal, nous avons commencé la méditation avec le programme pour enfants de Petit Bambou. Étonnamment, Solal (qui est assez remuant) adore et se prête super bien au jeu. Nous faisons 1 ou 2 séances (qui durent entre 5 et 10 mn) le soir quand Solal est trop énervé et n’arrive pas à dormir. C’est radical ! Hop, dans les bras de Morphée 🙂
- Chaque samedi, je consacre une heure entière à Solal (plus si possible, mais ça ne l’est pas toujours). Il choisit l’activité : bricolage, expérience (avec des ingrédients bizarres !), constructions improbables en kaplas, ballade, ciné… Il adore et attend chaque semaine avec impatience « notre petit moment à nous ». Son Papa aussi a instauré ça et eux, ils font des trucs de mecs 😉 Solal et nous, nous sentons plus proches dans ces moments et ça fait un bien fou !
- En toutes circonstances, j’essaie de communiquer avec Solal de manière bienveillante, en évitant d’accuser, de dévaloriser ou de donner des ordres directs. Il s’agit de ne pas heurter ses sentiments lorsque je lui demande quelque chose. Ma formatrice dit toujours « éviter le « tu » qui tue ». En d’autre termes, je ne dis plus :
- « tu as encore laissé tes chaussures trainer » mais « il y a des chaussures dans l’entrée. On pourrait buter dedans et se faire mal ».
- « Tu as encore renversé ton jus d’orange, mais tu ne pourrais pas faire attention ? » mais « du jus a été renversé. De quoi avons-nous besoin ? » Solal comprend immédiatement, et va chercher l’éponge pour réparer.
- Lorsqu’il va y avoir un changement (de classe, vacances…), j’en parle beaucoup avec lui, en anticipant et je le fais participer le plus possible. Cela la rassure et lui fait entrevoir les changements futurs. Par exemple, je l’associe à la préparation des vacances : choix de la destination, itinéraire, achats…
Voilà les quelques trucs que j’ai mis en place. Sans être exempt de difficultés, le quotidien s’en est trouvé nettement simplifié. Les relations sont plus apaisées, nous crions mois et Solal semble plus serein. A suivre, car chaque âge présente des défis différents !
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